Préserver les arts numériques
Auteur : Emmanuel Guez
Date de Parution : Été 2016.
Référence : Lionel Broye, Prune Galeazzi, Emmanuel Guez, Save Our Bits!, Actes de l'OB/SIN, 2016. (Article initialement paru dans "Archéologie des média", MCD#75, septembre-novembre 2014 et modifié).
ARTICLE
Imaginons une œuvre d’art numérique réalisée en 1985 pour le Minitel. Les fichiers informatiques transmis par l’artiste sont altérés et, depuis 2012, le Minitel a cessé d’exister en France. De l’œuvre il ne reste qu’une archive, une simple vidéo réalisée à partir de copies d’écran. Un musée installe la vidéo sur une tablette de type iPad ou Android, laquelle est insérée dans la coque d’un vieux Minitel. Quelle œuvre le musée aura-t-il alors montré et transmis? Ni la vitesse de défilement de la vidéo, ni son mode d’affichage (ligne par ligne) ne coïncident avec l’œuvre d’origine; l’écran de la tablette possède une intensité lumineuse et offre des couleurs inexistantes dans un Minitel… Le texte de l’œuvre, le programme à l’œuvre, a disparu à tout jamais et les différentes couches matérielles (le programme, l’électronique du Minitel, la structure du réseau) sont éliminées. À titre de comparaison, si le musée avait voulu montrer une enluminure du XVe siècle, le public n’en aurait vu qu’une photocopie couleur. Il est urgent de se doter d’une doctrine de la conservation-restauration des arts et littératures numériques, c’est-à-dire des œuvres écrites et accessibles avec des ordinateurs. Le PAMAL (Preservation & Art – Media Archaeology Lab) de l’École supérieure d’art d’Avignon s’y emploie depuis trois ans, en s’appuyant sur des experts et des partenariats extérieurs. L’unité de recherche s’inscrit dans un contexte international, où chaque structure développe sa propre stratégie, de l’émulation à la réinterprétation, en passant par l’archivage. La nôtre, la méthode média-archéologique, complémentaire des précédentes, consiste à activer les œuvres dans le respect le plus strict de leurs conditions matérielles d’origine, sans chercher à réintégrer les lacunes. En activant des technologies obsolètes, la préservation des œuvres concerne d’ailleurs tout autant le patrimoine artistique qu’industriel et technologique. L’obsolescence matérielle et logicielle est telle (parfois six mois) que le recours à des conservateurs-restaurateurs spécialisés et formés est aujourd’hui nécessaire. C’est pourquoi l’unité de recherche propose un diplôme supérieur de recherche en art (3e cycle) et accompagne une jeune entreprise créée par l’une de ses étudiantes, la première en France dans ce domaine et l’une des seules en Europe.