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− | Dans les différentes étapes de ce protocole, la plus passionnante à ce stade de nos recherches est celle de [[second original]]. « Second original » est une association peu commune de termes, qui selon leur définition respective, sont quasiment antinomiques. « Original » s’utilise en parlant d’une chose qui émane directement de l’auteur, tandis que le terme « second » lui est accolé en droit privé pour désigner le double d’un contrat ou document quelconque signé par le déclarant ou les parties. Dans le contexte de notre recherche, cette association de termes prend un sens voisin, bien que très différent. Entre les deux approches citées ci-dessus, notre « second original » serait une version de l’œuvre originale alors que celle-ci, sur sa machine d'origine ou équivalent, a disparu. Le « second original » reprend toutes ses qualités premières (software et hardware), émanant d'une collaboration entre l'artiste et l'unité de recherche<ref>Une | + | Dans les différentes étapes de ce protocole, la plus passionnante à ce stade de nos recherches est celle de [[second original]]. « Second original » est une association peu commune de termes, qui selon leur définition respective, sont quasiment antinomiques. « Original » s’utilise en parlant d’une chose qui émane directement de l’auteur, tandis que le terme « second » lui est accolé en droit privé pour désigner le double d’un contrat ou document quelconque signé par le déclarant ou les parties. Dans le contexte de notre recherche, cette association de termes prend un sens voisin, bien que très différent. Entre les deux approches citées ci-dessus, notre « second original » serait une version de l’œuvre originale alors que celle-ci, sur sa machine d'origine ou équivalent, a disparu. Le « second original » reprend toutes ses qualités premières (software et hardware), émanant d'une collaboration entre l'artiste et l'unité de recherche<ref>Une [[Convention de recherche]] permet d’établir clairement les conditions de réalisation d’un « second original » en accord avec (et la participation de) l’auteur et les éventuels propriétaires (privés ou publics).</ref>. Le « second original » n'est plus à proprement parler une « œuvre », qui pourrait par exemple être vendue, mais une copie constituant une « archive ». |
− | Il faut ici se placer dans un contexte d’exposition et de transmission de l’œuvre. Nous savons d’expérience, laquelle est courte en raison du peu de recul historique concernant ce type d’œuvres, qu’elles sont sensibles aux phénomènes d'obsolescence en plus des variations traditionnelles connues (matérielles, culturelles, etc.). Ces phénomènes d'obsolescence sont d’une telle ampleur qu’ils précèdent bien souvent tous les autres et entraînent des modifications radicales pouvant aller jusqu’à la perte complète de l’œuvre par dysfonctionnement, incompatibilité, etc. Citons ici quelques exemples bien connus tels que l’abandon progressif d’une technologie largement employée par les artistes, tels Flash | + | Il faut ici se placer dans un contexte d’exposition et de transmission de l’œuvre. Nous savons d’expérience, laquelle est courte en raison du peu de recul historique concernant ce type d’œuvres, qu’elles sont sensibles aux phénomènes d'obsolescence en plus des variations traditionnelles connues (matérielles, culturelles, etc.). Ces phénomènes d'obsolescence sont d’une telle ampleur qu’ils précèdent bien souvent tous les autres et entraînent des modifications radicales pouvant aller jusqu’à la perte complète de l’œuvre par dysfonctionnement, incompatibilité, etc. Citons ici quelques exemples bien connus tels que l’abandon progressif d’une technologie largement employée par les artistes, tels Flash<ref>Se reporter, par exemple, à l'arrêt du développement de Flash Player pour iPhone et Android au bénéfice du HTML5.</ref> ou Director, pour créer des interfaces et des animations. Nous pourrions aussi évoquer la rupture de compatibilité d’un système d’exploitation à l’autre<ref>C'est le cas avec Rosetta (Mac_OS_X) chez Apple, qui a entraîné l’illisibilité d’un grand nombre de productions artistiques et littéraires.</ref>. |
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La réalisation d’un « second original » peut s’avérer utile sous deux aspects, en tant que nouvel exemplaire fonctionnel, puis en tant qu’expérience de conception. Le nouvel exemplaire fonctionnel réalise ce que la série promet. En art, comme ailleurs, le nombre fait la force. Plus un objet est reproduit, plus nous avons de chance de le conserver. C’est le choix fait par les responsables de la mémoire des centres de stockage de déchets nucléaires à l'ANDRA, multiplier le nombre d’exemplaires des « mémoires de synthèse pour les générations futures » contenant les informations essentielles (localisation, historique, contenu, etc.) tout en le distribuant au plus grand nombre. L’expérience de conception, quant à elle, permet de prendre la mesure des variations technologiques et des phénomènes d'obsolescence en mobilisant des achats de pièces, de logiciels et des connaissances des langages informatiques. | La réalisation d’un « second original » peut s’avérer utile sous deux aspects, en tant que nouvel exemplaire fonctionnel, puis en tant qu’expérience de conception. Le nouvel exemplaire fonctionnel réalise ce que la série promet. En art, comme ailleurs, le nombre fait la force. Plus un objet est reproduit, plus nous avons de chance de le conserver. C’est le choix fait par les responsables de la mémoire des centres de stockage de déchets nucléaires à l'ANDRA, multiplier le nombre d’exemplaires des « mémoires de synthèse pour les générations futures » contenant les informations essentielles (localisation, historique, contenu, etc.) tout en le distribuant au plus grand nombre. L’expérience de conception, quant à elle, permet de prendre la mesure des variations technologiques et des phénomènes d'obsolescence en mobilisant des achats de pièces, de logiciels et des connaissances des langages informatiques. | ||
− | Lors de cette réalisation, la fabrication d’un « second original » refait l’expérience initiale de conception et éprouve ainsi les ruptures et incompatibilités prévues et imprévues tout en conservant l’intégrité de l’œuvre considérée. La conception de ce « second original » ne permet pas de préserver l’œuvre sur le long terme, puisqu’il est identique avec le « premier original »( | + | Lors de cette réalisation, la fabrication d’un « second original » refait l’expérience initiale de conception et éprouve ainsi les ruptures et incompatibilités prévues et imprévues tout en conservant l’intégrité de l’œuvre considérée. La conception de ce « second original » ne permet pas de préserver l’œuvre sur le long terme, puisqu’il est identique avec le « premier original »<ref>Certaines pièces fabriquées aujourd'hui, utilisées pour la réalisation d'un second original et dont la durée de vie nous est inconnue, pourraient cependant s'avérer plus fiables que les pièces d'origine (ex. : la re-fabrication d'anciennes cartes Arduino).</ref>. Toutefois, il autorise à nouveau l’exposition, de la même manière que l'autorise la copie d'exposition. Tout en réalisant une étape intermédiaire de conservation préventive précédant les stratégies de conservation curative, plus complexes et encore peu expérimentées pour certaines, il est enfin une pièce dans le puzzle d'un écosystème médiatique donné, un élément de lecture et de compréhension en regard des contextes médiatiques, techniques et culturels, qui n'apparaissent que lorsqu'ils dysfonctionnent. |
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Version actuelle en date du 7 octobre 2016 à 11:05
Auteurs : Lionel Broye, Prune Galeazzi, Emmanuel Guez
Date de Parution : 2014 (révision 2015)
Référence : Lionel Broye, Prune Galeazzi, Emmanuel Guez, Save Our Bits!, Actes de l'OB/SIN, 2016. (Article initialement paru dans "Archéologie des média", MCD#75, septembre-novembre 2014 et modifié).
Sommaire
ARTICLE
Nombreux sont aujourd'hui les ordinateurs et autres machines médiatiques qui ont disparu et, en dehors d'un intérêt historique ou pour les musées d'histoire des techniques, pourquoi les conserver ? Depuis le premier ordinateur, il existe des œuvres d'art produites avec ces machines. Certaines de ces créations, parce qu'elles suscitent l'intérêt du monde de l'art ou de la culture, sont parfois traduites et diffusées par des machines bien différentes de celles pour lesquelles elles avaient été pensées. Jusqu'à quel point les œuvres d'art médiatiques peuvent-elles, au regard des effets sur la réception, passer d'une machine à une autre ? Comment peuvent-elles être réparées, dupliquées, émulées, migrées, virtualisées, réinterprétées, cultivées, qui sont les solutions habituellement proposées pour leur conservation[1] ?
Le « réflexe » de l'histoire et de la pensée en général consiste à oublier les machines. Issue de la théorie des média, l'archéologie des média postule que les machines et leur matérialité conditionnent le produit de la création et de sa réception. L'objectif est de mettre à l'épreuve, à la fois, et ce parti-pris et les solutions évoquées plus haut, lesquelles aboutissent parfois à des contresens artistiques. Le PAMAL[2] a alors mis en place un protocole d'étude appliqué à une série d'œuvres d'art[3], dont la conservation interroge le bien-fondé de ces solutions.
Un "second original" pour des œuvres disparues
Dans les différentes étapes de ce protocole, la plus passionnante à ce stade de nos recherches est celle de second original. « Second original » est une association peu commune de termes, qui selon leur définition respective, sont quasiment antinomiques. « Original » s’utilise en parlant d’une chose qui émane directement de l’auteur, tandis que le terme « second » lui est accolé en droit privé pour désigner le double d’un contrat ou document quelconque signé par le déclarant ou les parties. Dans le contexte de notre recherche, cette association de termes prend un sens voisin, bien que très différent. Entre les deux approches citées ci-dessus, notre « second original » serait une version de l’œuvre originale alors que celle-ci, sur sa machine d'origine ou équivalent, a disparu. Le « second original » reprend toutes ses qualités premières (software et hardware), émanant d'une collaboration entre l'artiste et l'unité de recherche[4]. Le « second original » n'est plus à proprement parler une « œuvre », qui pourrait par exemple être vendue, mais une copie constituant une « archive ».
Il faut ici se placer dans un contexte d’exposition et de transmission de l’œuvre. Nous savons d’expérience, laquelle est courte en raison du peu de recul historique concernant ce type d’œuvres, qu’elles sont sensibles aux phénomènes d'obsolescence en plus des variations traditionnelles connues (matérielles, culturelles, etc.). Ces phénomènes d'obsolescence sont d’une telle ampleur qu’ils précèdent bien souvent tous les autres et entraînent des modifications radicales pouvant aller jusqu’à la perte complète de l’œuvre par dysfonctionnement, incompatibilité, etc. Citons ici quelques exemples bien connus tels que l’abandon progressif d’une technologie largement employée par les artistes, tels Flash[5] ou Director, pour créer des interfaces et des animations. Nous pourrions aussi évoquer la rupture de compatibilité d’un système d’exploitation à l’autre[6].
Une archive qui sert aussi à retracer le processus de création
La réalisation d’un « second original » peut s’avérer utile sous deux aspects, en tant que nouvel exemplaire fonctionnel, puis en tant qu’expérience de conception. Le nouvel exemplaire fonctionnel réalise ce que la série promet. En art, comme ailleurs, le nombre fait la force. Plus un objet est reproduit, plus nous avons de chance de le conserver. C’est le choix fait par les responsables de la mémoire des centres de stockage de déchets nucléaires à l'ANDRA, multiplier le nombre d’exemplaires des « mémoires de synthèse pour les générations futures » contenant les informations essentielles (localisation, historique, contenu, etc.) tout en le distribuant au plus grand nombre. L’expérience de conception, quant à elle, permet de prendre la mesure des variations technologiques et des phénomènes d'obsolescence en mobilisant des achats de pièces, de logiciels et des connaissances des langages informatiques.
Lors de cette réalisation, la fabrication d’un « second original » refait l’expérience initiale de conception et éprouve ainsi les ruptures et incompatibilités prévues et imprévues tout en conservant l’intégrité de l’œuvre considérée. La conception de ce « second original » ne permet pas de préserver l’œuvre sur le long terme, puisqu’il est identique avec le « premier original »[7]. Toutefois, il autorise à nouveau l’exposition, de la même manière que l'autorise la copie d'exposition. Tout en réalisant une étape intermédiaire de conservation préventive précédant les stratégies de conservation curative, plus complexes et encore peu expérimentées pour certaines, il est enfin une pièce dans le puzzle d'un écosystème médiatique donné, un élément de lecture et de compréhension en regard des contextes médiatiques, techniques et culturels, qui n'apparaissent que lorsqu'ils dysfonctionnent.
Notes
- ↑ Cf. Stricot (M.) « Agir (et non pas réagir) » in: Archéologie des média, MCD #75, septembre/novembre 2014. Voir aussi : http://digitalis.litchio.com
- ↑ Le PAMAL est composé de Stéphane Bizet, Lionel Broye, Christophe Bruno, Lucille Calmel, Prune Galeazzi, Emilie Gervais, Emmanuel Guez, Marie Lechner, Morgane Stricot.
- ↑ Les œuvres étudiées sont Angelino d'Albertine Meunier, .jpg printing de Jacob Riddle, Counter de Grégory Chatonsky, Fascinum de Christophe Bruno, Les Secrets de Nicolas Frespech, DOEK d'Annie Abrahams et Jan de Weille et les Videotext Poems (œuvres pour Minitel) d'Eduardo Kac.
- ↑ Une Convention de recherche permet d’établir clairement les conditions de réalisation d’un « second original » en accord avec (et la participation de) l’auteur et les éventuels propriétaires (privés ou publics).
- ↑ Se reporter, par exemple, à l'arrêt du développement de Flash Player pour iPhone et Android au bénéfice du HTML5.
- ↑ C'est le cas avec Rosetta (Mac_OS_X) chez Apple, qui a entraîné l’illisibilité d’un grand nombre de productions artistiques et littéraires.
- ↑ Certaines pièces fabriquées aujourd'hui, utilisées pour la réalisation d'un second original et dont la durée de vie nous est inconnue, pourraient cependant s'avérer plus fiables que les pièces d'origine (ex. : la re-fabrication d'anciennes cartes Arduino).