Counter : Différence entre versions

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Version du 22 juin 2016 à 13:08

Second original

Grégory Chatonsky (Second Original)

Auteur : Lionel Broye

Date de parution : 2015

En 2013 lors du lancement du programme de recherche du PAMAL un certain nombre d’oeuvres d’art a été proposé à l’étude dont le site Internet COUNTER de Grégory Chatonsky créé en 1994[1].

Ce dernier décrit par l’artiste sur son site personnel n’est plus en ligne et n’existe plus que par sa description accompagnée d’une image (fig.1).

fig.1 - Présentation de COUNTER (2015) sur le site de l'artiste

« Un site Internet constitué d’un compteur de visites. « Counter » expose l’autophagie de l’information sur le réseau puisqu’on y voit que l’accumulation des visites. Le changement que la dernière visite (+1) y est imperceptible. »

Depuis le début de notre recherche Grégory Chatonsky a modifié la page de présentation de Counter dont une version archivée se trouve conservée par le PAMAL (fig.2).

fig.2 - Présentation de COUNTER (2013) sur le site de l'artiste

À partir des informations recueillies sur le site Internet de l’artiste ainsi que celles obtenues lors de multiples échanges emails et téléphoniques, nous avons pu circonscrire l’environnement de création

Un environnement matériel et logiciel

Les navigateurs

En tenant compte de la période de création du site, le navigateur employé était NCSA MOSAIC[2]. Les différentes versions sont disponibles en téléchargement sur le site ftp de NCSA[3]. Pour cette étude nous expérimenterons deux autres navigateurs, Netscape 3.0.1 de 1996 et Netscape Communicator de 1998.

Les machines

L’artiste nous a indiqué avoir utilisé un Apple LC475 commercialisé de 1993 à 1996[4]. Cette machine se connectant au réseau via un modem téléphonique, nous lui avons préféré un Quadra 650[5], machine contemporaine de la création de COUNTER mais équipée d’un port AAUI[6] permettant une connexion Ethernet. Pour cette étude nous testerons deux autres machines, un Umax Pulsar de 1996 et un Imac de 1998 sous OS9.

Le compteur

Le compteur fonctionne avec la technologie CGI (common gateway interface documentée pour la première fois par la NCSA) et une série de chiffres de 0 à 9 au format GIF seront utilisés pour constituer le compteur.

Première version logicielle

En utilisant le HTML 5 nous avons pu rapidement obtenir une page correspondant à la description fournie par l’artiste. Il s’agissait d’une page complètement noire (fig.3) avec au centre un compteur de chiffres blancs. Pour centrer le compteur nous avons employé un simple tableau table, le fond noir est obtenu avec bgcolor, le code faisant appel au compteur inséré dans un td. Après la première version fonctionnelle nous l’avons complété avec un compteur affichant des GIF ainsi que des mots-clefs d’époque.

Le format GIF

Étant un des standards image le plus employé, l’artiste nous avait indiqué avoir utilisé ce format pour faire fonctionner le compteur. Nous avons donc réalisé la série complète de GIF, de 0 à 9, le tout en Arial comme mentionné dans les caractéristiques de l’oeuvre. Le corps n’étant pas spécifié, nous avons choisi une taille en pixels de 15 x 27 pour être lisible sur tous les formats d’écran actuels.

Les Mots-clefs

L’attribut Keyword très employé dans les premières années du web, notamment popularisé par des moteurs de recherche tel qu’Altavista, est aujourd’hui obsolète et même proscrits lors du référencement. Tout en tenant compte de ce paramètre, nous avons inséré les mots-clefs indiqués par l’artiste, ces derniers faisant référence à des événements contemporains de l’oeuvre, des jeux vidéo et à la pornographie, censée attirer le plus de visiteurs pour le compteur mais sans rapport avec le contenu. Notons ici que c’est en partie la raison qui a poussé les principaux moteurs de recherche à partir des années 2000 à considérer les motsclefs comme l’apanage de sites de Spam. Utiliser aujourd’hui cette technique entraînerait donc l’effet inverse, le site serait non référencé. Nous avons donc choisi dans un premier temps de placer les mots-clefs en commentaire. Les mots-clefs ont été choisis en fonction de plusieurs critères. Selon les indications de l’artiste nous avons sélectionné des mots-clefs faisant référence à la pornographie, cette catégorie “attirant” le plus de visiteurs[7]. Tous les mots-clefs utilisés sont contemporains du site, notamment ceux faisant référence à des événements d’actualité marquant en 1994 (la mort de Kurt Cobain ou bien la première rencontre du W3C) ou bien à des jeux vidéo célèbres à ce moment-là. La liste pourrait être plus longue mais nous l’avons limitée afin de donner un accès rapide à tous les mots-clefs employés.

Première version matérielle

fig.3 - Unité centrale Macintosh Quadra 650
fig.4 - 400 Bad Raquest

Nous avions donc une version en ligne fonctionnant sur nos équipements contemporains. À présent nous pouvions passer à l’étape suivante, faire l’expérience de ce prototype avec un ordinateur de 1994. Un quadra 650 (fig.3) est donc acheté avec son écran, son clavier, sa souris d’origine avec le système OS7. Un adaptateur connecté sur le port AAUI permet ensuite de brancher la machine sur le réseau de l’ESAA via un serveur DHCP avec un câble RJ45 de catégorie 6. En utilisant les favoris installés d’origine avec Mosaic nous obtenons un rendu partiel des pages HTML générées par le site de NCSA. Par contre nous obtenons une erreur (fig.4) persistante lorsque nous tentons de nous connecter à d’autres sites ainsi que sur COUNTER.

400 Bad Request Your browser sent a request that this server could not understand

L’erreur 400 est presque toujours le résultat d’une mauvaise programmation du système client et/ou du serveur Web. Ici notre système client MOSAIC semble être la source de l’erreur, non pas due à une mauvaise programmation mais plutôt à l’obsolescence de son codage datant de plus de vingt ans. Toute mise à jour étant impossible, ce navigateur est donc mis de côté pour l’expérience. Toutefois cette erreur 400 fut bénéfique. Jusque-là nous avions conservé les pages en HTML5 ! Pensant avoir trouvé la source de l’erreur, nous décidons logiquement de passer au HTML1, version contemporaine de l’oeuvre et du navigateur.

Retro-codage, du html5 au html2

Après quelques recherches, il s’avère que le HTML1 ne correspond pas tout à fait à nos attentes, l’Internet Draft publié par Tim Berners- Lee et Daniel Connolly datant de juin 1993, le HTML2 dont les spécifications sont rendues publiques en novembre 1995 semble mieux adapté. La page de COUNTER est donc entièrement réécrite en respectant les spécifications du HTML2. Nous rencontrons alors deux difficultés, le fond noir ne peut pas être obtenu en utilisant l’attribut bgcolor car ce dernier n’existe pas en HTML2 et il en est de même avec notre tableau table. Pire, le navigateur Mosaic possède une option qui permet de régler le fond de couleur, ce dernier étant par défaut gris, le site ne peut pas être affiché en permanence de façon conforme aux indications de l’artiste. Cette dernière découverte nous pousse à nous poser quelques questions troublantes. Pourquoi l’artiste nous a indiqué avoir utilisé Mosaic si ce dernier ne peut pas afficher COUNTER sur fond noir ? La mémoire de l’artiste fait-elle défaut ou bien superpose-t-elle plusieurs époques afin de construire un COUNTER qui n’a pas pu exister ?

Une page d’accueil nécessaire

fig.5 - Page d’accueil et HTML2 validé par le W3C

En plus du code, un autre problème se pose à nous, l’arrivée sur la page contenant le compteur ne se faisant pas par le résultat d’une recherche, le nouveau site n’étant pas référencé, il manque une explication pour éviter que le visiteur active manuellement le rafraîchissement de la page pour comprendre le fonctionnement. Nous décidons donc de créer une page d’accueil incluant les informations nécessaires à la compréhension de l’oeuvre, ainsi que quelques liens pointant vers le site du PAMAL et celui de l’artiste. Nous rajoutons le code testant la validité de notre HTML2, ainsi déclaré conforme aux recommandations du W3C (fig.5).

Ajustements matériels et logiciels

IMac, clone et navigateurs

Deux autres machines ont été testées avec notre première version de COUNTER, il s’agit d’un iMac et d’un UMAX Pulsar équipées respectivement des navigateurs correspondants, Netscape Communicator et Internet Explorer pour l’iMac, Netscape 3.0.1 pour l’Umax. Les résultats obtenus diffèrent sur les deux machines ainsi qu’entre les navigateurs. Sur l’Umax Pulsar, premier clone Mac construit par Pulsar en 1996, un problème de codage de caractère entraîne des erreurs d’accentuation dans le texte de la page d’accueil, tandis que sur l’iMac la version de Netscape communicator semble garder en mémoire cache la page du site, bloquant l’incrémentation du compteur lors de l’affichage de la page. Malgré plusieurs tentatives de réglages, l’incrémentation ne se fait pas. Aucun problème avec Internet Explorer.

Un soclage numérique

fig.6 - Soclage numérique
fig.7 - COUNTER affiché sur un écran contemporain

Reste encore à obtenir COUNTER sur fond noir et centré en milieu de page comme indiqué par l’artiste. Pour ce faire nous allons passer par deux étapes bien connues des webmasters de l’époque afin de réaliser un soclage numérique qui va consister à placer le compteur au milieu de la page mesurant 640 x 480 pixels, puis à réaliser un fond noir. Le centrage est obtenu en intercalant deux images, une en hauteur partant du haut pour pousser le compteur vers le bas, une en largeur partant de gauche pour pousser le compteur vers la droite. L’image verticale mesurant 1 pixel de large sur 240 pixels de haut, l’image horizontale 1 pixel de haut pour 320 pixels de large. Une troisième verticale est insérée afin de placer en bas à droite le lien de retour vers la page d’accueil (fig.6). Une fois le compteur centré, nous pouvons passer à l’étape suivante qui va nous permettre de simuler un fond noir et affiner le centrage. Cinq images vont être nécessaires au soclage final (fig.7). La première mesure 640/213 pixels, la seconde qui précède et centre le compteur mesure 290/27 pixels, la troisième qui ferme le compteur 290/27 pixel, la quatrième 640/213 pixels, la cinquième qui pousse “retour” à droite 490/27 pixels. Pour obtenir le résultat optimal il faut ajuster la taille de la fenêtre jusqu’à ce que les éléments se mettent en place. Nous obtenons donc une page noire avec un compteur centré comme indiqué par l’artiste, le tout au format 640/480 pixels, en HTML2 avec un compteur CGI en Arial blanc.

Les mots-clefs pénalisants

Dans les premières versions les mots-clefs étaient placés en commentaire afin de ne pas dégrader le référencement du site. La version actuelle utilise une méthode qui a fait ses preuves mais qui est aussi considérée comme pénalisante par les moteurs de recherche, le Background Spoofing qui consiste à insérer du texte de couleur noir sur fond noir pour aménager une zone de contenu invisible pour les internautes mais pas pour les robots.

Problèmes non résolus

Les mots-clefs

L’emploi des mots-clefs reste problématique, aucune des méthodes employées ne permet un bon référencement.

Mise en page

Lorsque le compteur augmente d’une dizaine il décale l’image 3 vers la droite. Il faut donc ajuster manuellement cette image. Ceci étant dit ce rythme aura tendance à décroître avec le temps étant donné l’importance du nombre affiché.

Erreur d’affichage avec Mosaic

L’erreur “400 Bad request” avec Mosaic est persistante et ne pourra pas être résolue puisque directement liée avec la programmation obsolète de ce navigateur.

Le cas Netscape

Netscape Communicator n’incrémente pas le compteur à chaque visite. Nous pensions qu’il s’agissait d’un cache persistant mais après plusieurs tests nous n’avons pas pu obtenir une incrémentation correcte du compteur.

Problèmes à venir

La fin du support du CGI par les hébergeurs est peut-être la partie la plus fragile de l’œuvre. Ce langage de programmation ancien est progressivement remplacé par d’autres systèmes plus performants et plus sûrs.

Un COUNTER authentique et inédit ?

Ce travail a permis de retrouver plusieurs techniques employées dans les premières expériences artistiques du Web et qui sont aujourd’hui en voie de disparition. Elles disparaissent parce qu’elles sont obsolètes comme le soclage numérique des pages remplacé par l’utilisation du CSS, ou bien prohibées comme l’emploi des mots-clefs afin de référencer un site. Nous avons donc recréé et mis en ligne Counter en utilisant la plupart des techniques d’origine alors que le site avait disparu depuis plusieurs années. Ce dernier est aujourd’hui référencé sur le site de l’artiste comme étant le second original, donc le double authentique du site de 1994. Mis à part quelques problèmes mentionnés dans la dernière partie, il reste une question qui mérite attention et qui a été soulevée lors du premier compte rendu sur ce travail. Nous avons suivi scrupuleusement les indications de l’artiste et il s’est avéré au fur et à mesure de notre cheminement que plusieurs éléments sont apparus en incohérence avec les réalités techniques de l’époque. Si nous nous en tenons à la version décrite qui devait donc fonctionner avec Mosaic, comment le site pouvait-il être affiché sur fond noir alors que ce navigateur ne gère pas les fonds de couleur mis à part en passant par les préférences ? Le gris est la couleur par défaut, les internautes ne devaient pas être nombreux à régler sur fond noir car le texte en noir devient alors illisible. Comment pouvait-on centrer un élément alors que les fonctions n’existaient pas en HTML1 ou 2 ? Nous obtenons un rendu acceptable en déployant des images noires mais cela correspond- il à la réalité de l’époque ? Nous pouvons en déduire trois propositions : Nous ne sommes pas parvenus à trouver les bonnes combinaisons techniques et notre travail est incomplet ; Les souvenirs de l’artiste ne sont pas justes et il y a donc une réinterprétation de ce qui a existé avec ce qu’il s’est passé par la suite, les navigateurs suivants ont géré les fonds de couleur, les tableaux, etc. ; Le site n’a jamais existé pour des raisons inconnues (difficultés techniques, projet resté en l’état d’esquisse, fiction) et l’oeuvre COUNTER visible en ligne aujourd’hui est inédite. Cette dernière proposition mérite un plus grand développement qui dépasse le cadre actuel de cette étude et une discussion approfondie avec l’artiste, car si cela était le cas nous serions alors devant une situation singulière qui nous placerait en position d’exécutant technique ou de co-créateur d’une oeuvre de Grégory Chatonsky, ce dernier jouant peut-être à la fois sur l’indiscutable vérité du site historique déclaré en ligne et documenté en tant que tel sur son site officiel, sur ses souvenirs personnels et sur la simplicité de mise en oeuvre des documents numériques nécessaires à sa recréation.

Références

  1. http://chatonsky.net/project/counter/
  2. https://fr.wikipedia.org/wiki/NCSA_Mosaic
  3. National Center for Supercomputing Applications - ftp://ftp.ncsa.uiuc.edu/Mosaic/
  4. https://en.wikipedia.org/wiki/Timeline_of_ Macintosh_models
  5. https://en.wikipedia.org/wiki/Quadra_650`
  6. https://en.wikipedia.org/wiki/AAUI
  7. Nous avons recensé à ce jour 3627 mots-clefs faisant référence à la pornographie.